Une couverture en relief, la marque maudite couleur sang, des illustrations couleurs, un mot du Young Animal, un grand format rigide : nous ne pouvions rêver meilleure édition collector de la part de Glénat, pour le tome 41 de Berserk, concluant les dernières planches qu’a dessiné Kentaro Miura de son vivant. Même si nous aurions préférés qu’il soit toujours parmi nous.
Le groupe de Guts est arrivé à Elf Helm, destination de son voyage pour rendre la raison à Casca. Grâce au rituel du couloir des rêves, exécuté par Danan, alias le « roi des pétales virevoltants », Schierke et Farnèse descendent tout au fond du monde intérieur de Casca et parviennent enfin à éveiller la jeune femme de son très long cauchemar. Mais Casca pousse un cri glaçant, à la vue de Guts…
Fantasia, le cycle de l’île Elfe
Dans ce dernier tome, toujours plongé dans le beau pays des elfes, nous avons le droit à encore un peu de douceur. Mais au bout de 40 tomes, nous sommes habitués au récit de Miura. Cet arc, sans doute le plus lumineux qu’il ait fait, ne nous empêchera pas de rester sur nos gardes, attendant l’envers du décor.
Nous retrouvons tous les personnages importants de l’histoire actuelle, en commençant par Griffith et Dame Charlotte, régnant sur Falconia, puis de Guts et ses compagnons. Des bâtiments en forme d’ailes d’oiseaux, des faucons volant autour, et de nombreuses branches d’arbres transparentes faisant penser à « l’Arbre monde », pas de doute possible, nous sommes bien à Falconia. Griffith, de ses yeux perçants comme un rapace, est toujours en posture de puissance et de domination. Menton levé, se tenant droit comme un I, croyant presque qu’il est debout, en contre plongée, le bras levé et confiant, l’on dirait Dieu sur Terre. Pour les habitants de Falconia en tout cas, c’est ce qu’il est à leurs yeux.
La barrière
Dans ce chapitre, l’on retrouve Casca, qui n’a rien perdu de sa force d’antan, à coups d’épée et de coups de pieds, elle démembre ses cibles avec une rapidité et une force que l’on sent à travers les traits puissants de maître Miura. On a apprécié retrouver Casca, presque comme elle était avant l’éclipse. Isidro voyant en elle un nouvel entraîneur, Guts est encore plus mis à l ‘écart. Caché derrière un arbre, comme une ombre, il reste spectateur des évènements.
L’on restera toujours saisi par l’expression que dégage Guts sur son visage, au moment où Casca fait une crise en se rappelant du sabbat, nous brisant le cœur de frustration. L’on entend son cri à travers les pages, parcourant notre corps, nous transperçant les os. Son regard envers Guts étant d’autant plus déchirant qu’elle le regarde avec terreur, à tel point que sa pupille, si profondément obscure, reflète l’éclipse. Cela nous rappelle le cliffhanger du tome 40, lors de leur retrouvaille, où nous voyons Guts dans le reflet de l’œil de Casca. Miura nous inflige deux fois cette scène.
La cerisaie
A son réveil, Casca évoque son ressenti sur son passé, et se fait submerger par ses émotions. Au bord des larmes, presque à en vomir, elle parle de Guts comme d’un monstre qu’elle doit fuir « son visage, sa voix, je ne peux pas… ». Miura adore remuer le couteau dans la plaie, et nous interdit de penser que Guts a le droit d’être heureux.
Ce dernier prend également le temps de s’attarder sur nos deux sorcières favorites, Schierke et Farnèse, réalisant des sorts assez puissants pour leur niveau. Inversant le blanc et le noir pour jouer entre le physique et l’astral, Kentaro Miura se débrouille comme un chef, et rend Schierke très crédible dans les sorts qu’elle effectue. L’on s’est même demandé si elle ne s‘était pas faite posséder par l’esprit des ténèbres lors de son sort, au moment où le sorcier s’est totalement fait recouvrir par la masse sombre. Avec toutes ces démonstrations, l’on comprend que ces deux personnages vont connaître une évolution future.
Puis la transition se fait plutôt brutalement, passant de sorcières très fluettes, maniant des sorts avec leur baguette, tout en légèreté, à un coup d’épée de Guts, très puissant, fendant presque notre page. L’immatériel face au matériel, Guts est clairement plus à l’aise au maniement de l’épée. Miura nous prouve à chaque tome, à chaque planche, qu’il sait tout dessiner. Et il aime faire des références à d’anciennes planches qu’il a faite, notamment les grands coups d’épée de Guts qui prennent la quasi-totalité de la case, ou encore celles où l’on voit que cette dernière est aussi grande que lui, caractéristique du personnage.
Guts, au bord de la falaise, l’horizon à perte de vue, semble complètement perdu. Il a réveillé Casca, et maintenant ? Il se sent impuissant et inutile. Le Chevalier noir vient le rejoindre, le mettant toujours en garde face à l’avenir qui l’attend. Un oiseau de « mauvais augure » selon Guts, mais Gedfrin ne semble pas d’accord avec cela. L’oiseau de mauvais augure serait plutôt le faucon, Griffith.
Mais qu’y a-t-il au fond de ce ravin ?
« Le point de chute des moutons noirs », répond Dorna. Se considérant elle-même comme un mouton noir, elle emmène Schierke suivre le Guerrier noir et le Chevalier noir. Tous s’avancent dans la pénombre, là où l’instant d’avant ils étaient au sommet de cette falaise, baignée de lumière. Dorna fait elle-même cette allusion, en parlant de la « gaieté flamboyante » de la reine, qui n’est pas au goût de tout le monde. Dans ce ravin, nous retrouvons tout ce qui peut être interprété de maléfique, de mauvais, de sombre. Il y a les fameux wicker men, qui ont attaqués nos protagonistes quelques tomes auparavant, le maître de Dorna, Vör, nécromancienne spécialiste en malédictions, des trolls, rappelant le Qliphoth.
Guts, le chevalier noir et Hanarr, le nain créateur de leurs armures, ne font pas exception, bien au contraire, c’est sans doute ce qu’il y a de plus sombre dans ce ravin à cet instant même.
Griffith et Guts sont vraiment les parfaits opposés, l’un resplendissant de luminosité, volant au-dessus de tout tel un faucon, et l’autre, tel un chien errant, ne peut que sombrer dans ce ravin, rappelant le paradis et l’enfer. Triste ironie quand nous connaissons ce qu’il s’est passé dans le tome 13, l’avènement du malin, faisant de Griffith aux yeux de Guts (et à nos yeux), l’être le plus égoïste et abominable qu’il soit du manga.
Lorsque l’on rencontre Hanarr, nous nous sentons beaucoup plus à l’étroit qu’au début. Ici on sent que nous sommes profondément enfouis dans cette grotte, Miura jouant sur le noir, le gris et le blanc, pour assombrir l’environnement, nous nous sentons à l’étroit en voyant les personnages, logeant à peine dans les cases.
Vision de mort
Des créatures difformes, tentaculaires, rempli de poils, d’écailles ou de pics, des yeux et des crocs acérés, prêts à déchiqueter tout sur leur passage, des giclées de sang d’un noir pur, Miura prend plaisir à nous remontrer son talent pour la monstruosité. Nous laissant entrevoir cinq silhouettes au fond de ce carnage, comme si nous ne l’avions pas encore compris, une double planche majestueuse vient nous dévoiler les God Hand de cette éclipse. Void, au centre, est le seul que nous connaissons. Miura vient conclure cette vision horrifique en nous plongeant directement à l’intérieur du sabbat. C’est par le biais d’un oeil ensanglanté, que nous voyons une femme, tatouée de la marque maudite, mourir dans nos bras, apercevant au loin la fameuse marque du sabbat, seule clarté de ce souvenir sanglant.
Nous ne savons que trop bien ce que nous venons de voir : une éclipse. Pas celle de Guts, celle de Gaiseric : l’ancien propriétaire de l’armure de Guts, le chevalier noir, confirmant ainsi ce que nous supposions depuis de nombreux tomes. L’on comprend que Gaiseric connaît Void, et cherche perpétuellement à le vaincre, tout comme Nosferatu Zodd.
Se reconnaissant dans le protagoniste, le Chevalier noir ne peut s’empêcher de l’aider dans sa quête, espérant qu’il arrive à ses fins, lui n’ayant jamais réussi. Notre Guerrier noir est constamment mis en garde du pouvoir maléfique que renferme son armure. Nous pouvons alors penser qu’il risque potentiellement de finir comme Gaiseric.
Le singe volant
Après un chapitre lourd, place à la légèreté. Entrant dans un mausolée, où repose sa bien-aimée, le Chevalier noir vient faire sa prière auprès de Danan. Nous prenons alors conscience de la ressemble entre le « roi des pétales virevoltants » et cette défunte femme.
Des interrogations nous sont posées lors de ce tome. Le Chevalier noir et Danan semblent partager quelque chose. Nous assistons à une des rares fois où Danan ouvre les yeux, rendant la scène très poétique et solennelle. La femme défunte du Chevalier était la « princesse vestale des cerisiers », et Flora était la vestale au service de cette princesse, maître de Schierke. Très proche du Chevalier et de sa femme à l’époque, Flora, peu après le jour du sabbat, aurait enfreint un tabou, l’obligeant à quitter le pays des elfes.
Ils ressortent, retrouvant les rayons du soleil. Nous assistons à une scène plutôt comique, mais pas nécessairement utile à l’histoire. Nous n’avons d’ailleurs pas trop saisi l’utilité de ce passage, Isidro taquinant les sorcières, révélant des têtes typiques de manga hilarants, et un fan service que Miura ne nous a pas habitué à voir. Cependant, il n’a pas oublié les petites références à Star Wars, avec Puck en maître Yoda.
Nous pensons que ce passage, rempli d’action malgré tout, était une façon de montrer tous les personnages, et de « réveiller » un peu le lecteur face aux révélations précédentes, et face à la tranquillité du tome. Un effet « pause », avant d’entamer la suite. Miura nous montre la vie paisible sur cette île, tout est parfait pour y rester. Cependant, Flora a préféré quitter l’île plutôt que de rester. Quel tabou a-t-elle enfreint ? Schierke se le demande, et nous aussi… Peut-être Guts va-t-il commettre le même tabou que Flora ?
Ce questionnement ouvre une transition sur une pleine lune qui pointe le bout de son nez, observée par Guts, adossé à un arbre. L’on peut voir également les branches d’arbres au-dessus de la lune, rappelant l’arbre monde, le petit garçon, et donc par conséquent, Griffith.
Gedfrin le met en garde sur la suite des évènements : soit sa colère l’animera, soit elle le consumera.
Le message que veut nous faire passer Miura est directement mis en évidence dans la case suivante : Guts regarde le hublot décoré de branches (Griffith), l’empêchant d’atteindre sa lumière : Casca.
Griffith est l’unique obstacle permettant à Guts de retrouver Casca. Et pour le vaincre, il le fera par la force, d’où le gros coup d’épée survenant sur la page d’après.
Larme de Rosée
Dernier chapitre et pas des moindres, puisqu’il repose essentiellement sur le garçon des pleines lunes. Guts est le premier à le voir, juste après avoir pensé à Griffith. Nous avons clairement un parallèle entre l’armure et le garçon dans la façon qu’il a de grimper sur Guts : dans le dos pour atteindre sa tête. L’enfant semble alors contrôler Guts dans un certain sens. Toujours à l’écart, il se met à contempler de nouveau cette pleine lune, avec une omniprésence de branches autour de lui. Alors que Casca dort avec l’enfant, des rayons lumineux éblouissent les cases.
Lors de l’entraînement quotidien de Guts, l’enfant vient le retrouver et s’invite dans son armure, rappelant de nouveau le parallèle que l’on a fait précédemment. Cherche-t-il à s’en aller avec afin de protéger Guts du maléfice de cette armure ? L’enfant inspire la paix et dégage une atmosphère extrêmement paisible.
Guts le renvoie vers Casca, restant dans la pénombre, et lui allant vers la lumière. On croirait une famille séparée. Puis vient la dernière nuit. Une magnifique planche de Casca baignée de lumière par le fœtus difforme, éloigne les ombres agonisantes autour d’elle. Puis un sursaut : se levant et regardant par le hublot, Casca se précipite dehors.
L’on retrouve alors le trio de l’histoire, Guts, abasourdi par ce qu’il voit, un petit garçon aux cheveux noirs inoffensif, se révélant être Griffith, son ennemi juré, tous deux rejoint au loin par Casca.
Le tome se terminant ainsi, sur une planche de Griffith en pleurs, avec la lune en fond, tout en poésie, mais supposant le calme avant la tempête. Un sentiment de dégoût nous a alors submergé. Nous nous en doutions, mais maintenant, c’est une certitude : l’enfant des pleines lunes et Griffith ne font qu’un.
Nous avons trouvé cette dernière planche très symbolique. Dans un sens, Griffith pleure la mort de son père, Kentaro Miura.
Conclusion
Un mot du Young Animal nous a été adressé à nous lecteurs à la fin du tome, nous expliquant qu’ils suivront à la lettre ce que maître Miura aurait souhaité. Nous aurions préféré qu’il n’y ait pas de suite, cela nous convenait parfaitement, le manga s’arrêtant avec son auteur. Le fait de continuer supposait un effet commercial.
Mais nous avons été rassurés par de nombreux messages du Japon, nous savons aujourd’hui qu’il a été confié par les seules personnes capables de supporter un poids aussi lourd sur leurs épaules : ses assistants du Studio Gaga, et son meilleur ami, Kôji Mori, le seul connaissant la suite du scénario.
Cependant nous ne pouvons-nous empêcher de penser que cela n’aura jamais la même saveur. Nous lirons la suite de Berserk, mais avec beaucoup d’appréhension. Et même si le scénario sera celui que Miura avait prévu, les dessins ne serons jamais les mêmes.
Nous le savions déjà, mais il est toujours bon de rappeler que Miura, par son seul talent qu’est le dessin, n’a besoin d’aucuns mots pour nous faire comprendre son histoire et nous faire ressentir de fortes émotions, quelles qu’elles soient. Les planches ont alors un effet beaucoup plus marquant, voire traumatisant : notre rétine est marquée au fer rouge, notre estomac se retrouve noué, une image pouvant exprimer mille mots, mille sentiments. Elles restent gravées en nous, nous accompagnant tout au long de l’histoire, telle une marque maudite, serrant notre cœur, imprégné à la fois d’admiration et de dégoût.
Même s’il n’a pas pu achever son œuvre de son vivant, Miura a pu nous apporter beaucoup de réponses à nos questions, et beaucoup d’évènements que nous attendions, notamment le retour de Casca, l’identité du Chevalier et celle du garçon des nuits de pleines lunes, dissipant ainsi les soupçons et les rumeurs qui planaient autour.
La suite appartient à chacun de nous : nous avons le choix de continuer à lire cette histoire, ou bien de s’arrêter ici, laissant ainsi son imagination faire le reste.