Lancé début 2018, Act-age (prononcé à la française, s’il vous plaît) a su conquérir le public japonais. Écrit par Matsuki Tatsuya et illustré par Usazaki Shiro, les deux premiers tomes du manga viennent de sortir en France aux éditions Ki-oon.
L’agence Stars est connue pour son aptitude à dénicher les étoiles du cinéma de demain. C’est dans ce climat ultra-compétitif que la jeune Kei tente sa chance, poussée par la nécessité de trouver un gagne-pain pour nourrir ses frères et sœurs. Quand Sumiji Kuroyama, réalisateur aussi génial que méconnu, découvre la lycéenne au cours d’un casting, c’est le coup de cœur : Kei Yonagi ne joue pas, elle devient son personnage. Cette technique à double tranchant peut mener à la gloire comme à la folie… Il prend l’adolescente sous son aile pour polir ce diamant brut. De plateaux en auditions, Kei débute l’apprentissage du dur métier d’actrice !
Act-age nous plonge donc dans le monde du cinéma, des acteurs. Un sujet qui le démarque de ce qui se fait ces derniers temps dans le Jump et dans le manga shonen plus globalement. Le lecteur découvre les coulisses des films, l’ambiance des plateaux de tournage. Un peu à la manière de Bakuman à son époque, Act-age reprend la manière de fonctionner des mangas de sport et la détourne pour aller vers l’art. Le manga a le potentiel pour parler à tout le monde, notamment deux publics que le Jump a trop souvent négligés depuis quelques années : les adultes et les jeunes filles.
Les bases de l’intrigue sont intéressantes, Kei utilise le système Stanislavski et s’immerge profondément dans le personnage, en se basant sur ses émotions passées, ses souvenirs. Un choix qui ouvre des portes scénaristiques intéressantes : l’acteur qui se perd dans son rôle, la difficulté de jouer quelque chose de totalement étranger… L’entourage de Kei évoque d’ailleurs ces pistes dès le premier tome, on risque donc d’en entendre parler.
Pour survivre dans le Weekly Shonen Jump, il est indispensable d’avoir un personnage principal marquant et attachant. Avec déjà 11 volumes au Japon, vous vous douterez qu’Act-age a réussi sur ce point. Un personnage principal fort, c’est le moins qu’on puisse dire. Pourtant, on pourrait se dire qu’une belle jeune fille, orpheline s’occupant de son petit frère et sa petite sœur, travaillant dur pour son rêve, ce n’est pas spécialement original.
C’est vrai, mais l’attrait de Kei Yonagi réside autre part. Le personnage est excessivement crédible, on est pris dans son jeu d’acteur qu’elle ne contrôle pas. Ses efforts, liés à son incompréhension du monde, la rendent touchante et drôle. Si on ne peut pas s’identifier au personnage, on a envie de tantôt l’encourager, tantôt l’admirer. Malgré son aspect un peu lunaire, elle n’en garde pas moins un caractère bien trempé, créant des scènes de disputes amusantes avec son manager.
Ces deux premiers tomes installent beaucoup de personnages, que ce soit Sumiji Kuroyama l’étrange réalisateur de génie, la directrice de l’agence Stars et sa vision commerciale du cinéma, suivre tout ce petit monde risque d’être intéressant. Dès le début du deuxième tome, avec le casting et le tournage de Death Island, on se retrouve à jongler avec un grand nombre de personnages secondaires. La bataille pour exister à l’écran se répercute sur le lecteur, comme si les acteurs cherchaient à le marquer. Une bonne gestion d’un casting large est une des clefs de la réussite pour ce genre de shonen typé « sport », et Act-age s’en sort très bien.
Cependant, si on devait garder en tête une véritable co-star pour Kei Yonagi, ce serait sans hésitation Chiyoko Momoshiro. Cette superstar est le parfait opposé de notre héroïne. À l’allure angélique, avec un jeu excessivement parfait et artificiel, elle s’oppose en tout point à la spontanée Kei. Les jeunes filles incarnent deux idées de l’art et du cinéma, son côté purement mercantile et l’autre un peu bohème. On a sans doute devant nous la future rivalité du manga, si elle ne devient pas tout simplement un ennemi.
Le découpage et la mise en scène donne l’impression de se retrouver successivement devant et derrière la caméra, grâce a de bonnes idées comme la présence de cadre autour des cases. Tout est fait pour qu’on soit pleinement dans cette ambiance plateau de tournage, pourtant, on peut l’oublier le temps de quelques pages, comme convaincu par la performance des acteurs. Un tour de force, notamment dû au talent de la dessinatrice.
Soyons clairs : pour un premier tome, d’une première série, dans un magazine hebdomadaire, le dessin est tout bonnement superbe. Les expressions faciales sont complexes, distinguant les vrais sentiments et le jeu de l’acteur, ce qui rend les performances de Kei d’autant plus intéressante qu’on la voit se plonger entièrement dans son rôle. Le chara-design communique parfaitement la personnalité du personnage, sans tomber dans le prévisible et le cliché. Les décors sont souvent minimalistes, voir inexistant, peut-être un choix pour mettre les personnages en avant, à la manière d’acteurs. Si Kei Yonagi est un diamant à polir, on peut en dire autant de sa dessinatrice, Usazaki Shiro.
Vous l’aurez compris, la rédaction de Team Manga a été séduite. Avec son thème original, ses personnages attachants et son dessin délicat, Act-age a tout d’un futur grand du shonen. Le tome 3 sortira le 27 août 2020, toujours chez Ki-oon, vivement !