Takeshi Obata (Death Note, Hikaru no Go, Bakuman, Platinum End…) et Akinari Asakura sont actuellement en tournée promotionnelle en France et en Belgique pour leur nouvelle série : Show-Ha Shoten, publiée chez Kana. Nous avons eu la chance d’assister à la conférence de presse, organisée au Goku Comedy Club, un lieu qui colle bien au sujet du manga : le manzai, un style de comique typiquement japonais, qui se pratique en duo.
C’est donc sur le couplet de SCH dans Bande Organisée, accompagné des rires de l’audience face à cette combinaison hasardeuse, que les deux auteurs montent sur scène pour répondre à quelques questions de la presse. Si le flegme du vétéran Obata s’est fait remarquer, c’est le jeune talent Asakura qui a répondu aux premières questions.
L’humour est une histoire de rythme. Est-ce que vous fournissez des consignes particulières de rythme, ou des nemu, à Obata-sensei ?
Asakura : Je discute de mes nemu avec Sawada, mon tanto (éditeur). Une fois que nous sommes d’accord sur leur contenu, c’est lui qui les transmet à Obata.
Asakura-sensei, vous êtes romancier à l’origine, y-a-t-il un traitement, une différence particulière pour l’écriture de manga ?
Asakura : Dans les deux cas on raconte une histoire, il y a des points communs, mais la différence dans le manga est la force de transmettre par le dessin. Si on parle de paix ou de paradis, je peux l’expliquer avec des mots, mais il faut aussi le montrer avec des images. Et moi, je n’ai pas ces compétences. Pour la personnalité des personnages, il faut aussi passer par le dessin, c’est nouveau et plus difficile pour moi.
Quand vous étiez jeune, vous hésitiez entre une carrière d’auteur ou d’humoriste, pourquoi avoir choisi d’être un auteur ?
Asakura : La première raison, c’est que dans les situations comme celle-ci, devant un public, je suis très stressé. Et puis, j’aime beaucoup raconter et écrire des histoires. J’aime l’humour, mais je pense que je préfère écrire et raconter des histoires. Et puis, je n’étais pas assez drôle. (rires)
Show-Ha Shoten présente les codes du manzai avec ses codes, ses postures, ses mimiques… Avez-vous fait des recherches, vu des spectacles, des vidéos sur internet pour travailler ça ? Où avez-vous trouvé l’inspiration pour représenter ces codes dans votre manga ?
Obata : Moi, j’aime ce qui est drôle, mais je n’avais pas particulièrement suivi le monde du manzai. Évidemment, dans le cadre de ce manga, je regarde des spectacles et me renseigne. Toutefois, je ne prends pas d’exemple particulier. Quand je ne sais pas comment dessiner telle ou telle expression, je demande à Asakura de les faire pour moi. C’est une de mes sources d’inspiration (rires)
En écrivant Show-Ha Shoten, pensez-vous avant tout au lectorat japonais, ou prenez-vous en compte les lecteurs internationaux ? Car le manzai n’est pas forcément connu en dehors du Japon.
Obata : Effectivement, je dessine pour le lectorat japonais, mais comme les lecteurs étrangers lisent aussi le manga, j’espère qu’ils vont trouver ça amusant et comprendre les codes, même si le manzai est différent de ce qui existe chez eux.
Concernant le chara-design, chaque duo du manga a un style bien différent. Quand vous les dessinez, essayez-vous de faire coller leur apparence à leur personnalité, ou bien cherchez-vous à surprendre le lecteur avec un décalage ?
Obata : Asakura me remet des nemu avec des indications sur les personnages. Il voulait dessiner aussi, donc il représente bien les expressions et me montre ce qu’il veut. Ensuite, j’ajoute ma touche personnelle. Pour les tenues vestimentaires, j’essaie de coller au caractère du personnage.
Après plus de 30 ans de carrière, continuez-vous à découvrir des méthodes de travail, ou des techniques de dessin ? Quelle est votre expérience sur Show-Ha Shoten ?
Obata : En travaillant sur Show-Ha Shoten, j’ai compris que la qualité du scénario originale et des nemu est vraiment excellente. Je n’avais jamais lu de manzai aussi bien découpé.
Vous avez travaillé sur beaucoup de thèmes différents dans votre carrière. Comment choisissez-vous vos projets ? Votre approche change selon les sujets à traiter ?
Obata : Premièrement, il faut que l’œuvre soit intéressante. Ensuite, il faut que l’inspiration de cette œuvre fonctionne avec la mienne. Sur Show-Ha Shoten, c’était bon dès le départ. Jusqu’à présent, j’ai travaillé avec plusieurs auteurs, sur des scénarios originaux. A chaque fois, leurs univers sont différents, donc j’essaie de me mettre à la place du scénariste. Je me dis « Comment ça serait si c’était lui qui dessinait ? ».
Dans Show-Ha Shoten, les deux héros ont une personnalité très différente l’un de l’autre, comment avez-vous construit ce duo ? Vous vous voyez dans un des deux protagonistes ?
Asakura : J’imagine que les gens dans la salle ont lu beaucoup de manga. En réalité, c’est assez rare d’avoir un personnage principal qui commence en étant déjà très fort. Dans ce genre de manga, il progresse généralement petit à petit. En partant de ça, on a cherché deux personnages qui évoluent dans des mondes différents, qui ont chacun leurs défauts et points faibles. C’est comme ça que le duo fonctionne. Moi, je suis plutôt comme Azemichi, car je suis très timide.
Obata : Pour ce qui est de la création des personnages, je rejoins Asakura. Lors des représentations à l’école, on me donnait plutôt le rôle du boke, l’ahuri. Je n’arrivais pas à retenir les trois répliques qu’on me donnait (rires). Je suis plutôt comme Taiyô donc.
Que pensez-vous de la place de l’humour dans la culture ? Show-Ha Shoten est-il un moyen de remettre en avant le comique ?
Asakura : On ne s’en rend pas forcément compte depuis la France, mais au Japon, le manzai a un succès vraiment incroyable. L’humour a une place majeure dans la culture japonaise. En général, tout ce qui marche au Japon est adapté en manga, comme le baseball ou le football. Pourtant, il y avait peu de manga de manzai.
On dit souvent que quand on écrit une œuvre, il est plus difficile de faire rire que d’émouvoir. Qu’en pensez-vous ?
Asakura : Oui, c’est vrai que ce n’est pas évident de faire rire, je ne pourrais jamais dire que c’est facile. Après, il y a des manières de faire. Pour faire pleurer, vous mettez une petite fille pauvre, puis vous la faite mourir. Le lecteur va pleurer. Cela dit, je trouve que le plus dur, c’est de faire peur, mais pour l’instant je veux vraiment essayer d’écrire des histoires drôles.
Obata : A propos du rire, moi je ne suis pas trop du genre à rigoler. Dans ma vie, je ne me suis tordu de rire qu’une fois ou deux, c’était en regardant un sketch à la télé. C’est vraiment dur de faire rire quelqu’un. Ce qui est intéressant dans Show-Ha Shoten, c’est de voir les artistes se battre avec leurs gags, leur talent…
Il peut être compliqué de transmettre la force d’un art vivant dans un manga, comme la musique ou le théâtre… Il faut être dans la salle pour ressentir pleinement l’expérience. Comment mettre en scène du manzai pour faire ressentir toutes ces émotions ?
Asakura : Pour moi, ce qui est difficile c’est de trouver et d’écrire des gags. Je m’efforce chaque jour de trouver des blagues qui me font sourire, c’est vraiment difficile.
Obata : Ce qui est formidable avec Show-Ha Shoten, c’est que les gags sont déjà là, dans les dialogues. En tant que dessinateur, je dois surtout trouver des astuces pour ne casser le rythme et laisser le lecteur lire d’une traite. Le dessin ne doit surtout pas gêner la lecture, le plus important est dans le texte.
Show-Ha Shoten met l’accent sur les stratégies des humoristes, pour faire rire des publics différents. Comment imaginez-vous ces méthodes, les avez-vous testés vous-même ?
Asakura : Depuis que je suis petit, j’avais ce désir de dire des choses drôles, mais ça ne marchait pas toujours. Je me suis demandé pourquoi cela fonctionnait ou non. J’ai expérimenté au quotidien comment faire rire, je suis même monté sur scène. Mais je n’ai pas connu cette vague de rire qu’on voit dans le manga.
Obata : Pour l’humour, je laisse ça à Asakura. (rires dans la salle)
Merci à Misato Rallard pour la traduction de cette conférence de presse.